Le Nord : revue internationale des Pays de Nord - 01.06.1938, Page 39
NEUTRALITÉ NORDIQUE 31
transformer au moment favorable en son contraire. Tel n’a pas
été, au temps de la Grande Guerre, le cas de la neutralité scandi-
nave. Celle-ci constituait plutót la seule attitude compatible avec
la neutralité traditionnelle des pays du Nord en temps de paix.
Elle n’avait qu’une seule limitation: le pouvoir de résister á la
pression des puissances belligérantes. Mais elle était destinée á
étre maintenue jusqu’á la derniére extrémité.
Les fondements d’une telle neutralité du temps de guerre ne
pouvaient étre posés qu’en temps de paix. La neutralité adoptée
par les Etats scandinaves au cours de la Grande Guerre doit étre
considérée dans son rapport avec l’attitude que, pendant des di-
zaines d’années, ces Etats avaient observée auparavant dans les
affaires internationales.
Cette neutralité d’avant-guerre porte manifestement la marque
de la réserve et de la tendance á l’isolement. Lorsque la Suéde et
la Norvége eurent échappé aux difficultés de la guerre de Crimée
et aprés les blessures et la mutilation subies en 1864 par le Dane-
mark, les trois pays concentrérent leurs énergies, dans le domaine
de la politique extérieure, á avoir aussi peu de politique exté-
rieure que possible —, abstraction faite du différend interne qui
se termina par la dissolution, pacifique et heureuse dans ses effets,
de l’Union suédo-norvégienne. La Scandinavie s’accoutuma,
durant cette période, non seulement á ne pas s’immiscer dans les
affaires internationales, mais aussi á considérer la région du Nord
comme une galerie, d’ou les spectateurs pouvaient suivre tran-
quillement les matches de la politique mondiale qui se jouaient sur
la vaste aréne.
Il existait, il y a longtemps déjá, une expression courante:
« Que nous importent les affaires de Pologne? » Et il est bien
vrai qu’il y avait quelque chose de cette égoiste indifférence
aux « affaires de Pologne » dans la neutralité scandinave d’avant-
guerre. Mais la volonté de maintenir cette neutralité trouva
d’abondantes occasions de s’exercer et de se tremper au cours des
dures années de la Grande Guerre. L’indifférence un peu ingénue
aux choses du monde extérieur avait d’ailleurs été emportée par
la tourmente lorsque des ruines de la catastrophe mondiale surgit
enfin l’idée de la solidarité mondiale, incarnée dans la Société des
Nations.
Cette idée s’empara puissamment des esprits dans les pays du
Nord. La politique appliquée par ceux-ci depuis lors et jusqu’á ce
jour me paraít pouvoir étre caractérisée comme une politique
de solidarité et de neutralité, en combinaison ou en concurrence.