Le Nord : revue internationale des Pays de Nord - 01.06.1941, Blaðsíða 301
S0REN KIERKEGAARD
Par Frithiof Brandt,
Professeur de philosophie á l’Université de Copenhague.
50REN KIERKEGAARD, le plus grand philosophe du
Danemark, a eu, á l’étranger, une destinée vraiment parti-
culiére. Lorsqu’il mourut en 1855, ágé seulement de 42 ans,
aucun de ses livres n’avait été traduit dans une langue étrangére.
Il ne s’en souciait d’ailleurs pas. De fait, ce n’est qu’un demi-
siécle aprés que la traduction allemande de ses œuvres complétes
a commencé á paraítre. En somme, on peut dire que c’est seule-
ment á partir de 1900 que la philosophie internationale a dé-
couvert le penseur danois. Mais, une fois la découverte faite, la
réputation de Kierkegaard n’a cessé de grandir. Chaque année
voit paraítre de nouvelles traductions dans l’une ou l’autre des
langues principales et le nombre des ouvrages qui lui sont con-
sacrés dans le monde entier est de plus en plus considérable. De
méme que Stendhal a eu, bien des années aprés sa mort, une re-
naissance dans les milieux littéraires, de méme Kierkegaard jouit
présentement dans le monde philosophique de la plus grande ac-
tualité.
Et ceci á juste titre. On peut dire en effet, que son œuvre n’a
pas sa pareille dans la littérature internationale. Philosophie et
art s’y réunissent en un ensemble tel qu’on n’en avait jamais vu
auparavant. C’est un esprit génial et extraordinairement riche
qui s’y manifeste. Sa pensée est d’une exceptionnelle précision et,
en méme temps, trés nuancée dans son expression. Son sens psy-
chologique se meut avec autant de sureté dans le lyrisme et la
clarté que dans les abímes les plus profonds et les plus obscurs de
l’áme. Sa production trés considérable — ses « œuvres » compor-
tent 14 volumes et ses journaux plus de 20 — fait l’effet du
jaillissement constant d’une source inépuisable. Il a lui-méme
qualifié de « démoniaque » sa capacité de création. A l’égard de
la forme, il sait jouer de presque toutes les cordes de l’áme: la
haute éloquence, l’esprit mordant, la gravité sereine, la vive
sensibilité, l’ironie voilée, la raillerie acérée. Chaque phrase écrite
par lui porte l’empreinte de son style et l’émotion qu’il y met lui
est absolument propre.