Le Nord : revue internationale des Pays de Nord - 01.06.1941, Page 303
S0REN KIERKEGAARD
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ciens vivent dans l’instant, les éthiciens vivent dans le temps, en
ce sens que leur existence a sa continuité et, si l’on peut dire, son
histoire du fait qu’ils se chargent de táches qu’ils acceptent de
réaliser. Les éthiciens ont leurs fonctions á remplir dans la société
et leur attitude á l’égard du probléme des sexes s’exprime dans
le mariage, avec toutes ses obligations. Loin d’éviter la répétition
ils la recherchent. Ils attachent une importance essentielle aux
concepts de bien et de mal, tandis que les esthéticiens négligent
délibérément ces deux notions.
La conception éthique de l’existence s’exprime principale-
ment dans la seconde partie de De Deux choses l’une, qui est pré-
sentée comme étant l’œuvre d’un certain conseiller Wilhelm. C’est
un ami de l’esthéticien A, bien qu’il soit plus ágé, et il expose,
dans les lettres adressées au jeune homme, la conception éthique
avec l’espoir de l’y gagner. En termes admirablement choisis il
lui montre ce qu’est la vie dans le mariage et au service de la
société. Comme son titre l’indique, il est lui-méme magistrat.
II soutient, par ailleurs, que la conception esthétique est déjá du
désespoir ou conduira un jour au désespoir. De Deux choses l’une
signifie, pour l’éthicien, que l’on doit choisir entre l’esthétique
et l’éthique, et, s’adressant á l’esthéticien, il lui lance cet appel
pressant et pathétique: choisis! Du reste, le conseiller fait lui-
méme une place dans sa conception de la vie á l’élément esthé-
tique, mais á un rang secondaire.
Quant au stade religieux, enfin, les rapports avec Dieu y
constituent le sens le plus profond de l’existence. Tandis que
les esthéticiens vivent dans l’instant et les éthiciens dans le temps,
les hommes religieux vivent en relation avec l’éternité. Pour eux,
la vie éthique n’a sa base réelle et sa profondeur que dans les
relations avec Dieu, qui constituent l’élément décisif du salut
de chacun pour l’éternité.
Le stade religieux a été surtout étudié par Kierkegaard dans
son chef-d’œuvre Post-scriptum non scientifique et dans plu-
sieurs livres moins étendus, d’un caractére trés passionné et presque
extatique: Crainte et tremblement, La maladie d la mort et L’Ecole
du Christianisme, ainsi que dans une suite d’écrits plus accessibles
au grand public et intitulés Discours édifiants et enfin dans une
série de brochures publiées sous le titre L’lnstant.
Partout, il attache la plus grande importance á distinguer
entre foi et savoir. Le stade religieux repose toujours sur une foi,
et jamis sur un savoir. Le christianisme est une foi qui ne saurait